lundi 30 décembre 2013

L'âme en berne


En parallèle avec ce blogue, je navigue désormais sur le site Mauvaise herbe. J'y accoste au moins une fois par mois.

Mon quatrième texte, publié le 30 décembre 2013 : L’âme en berne

L’année 2013 arrive à son terme. Voilà donc 14 ans accomplis dans ce XXIe siècle qu’on espérait lumineux, forts que nous sommes des avancées de la science, de l’accessibilité à la connaissance et surtout de l’évolution de cette humanité en marche.

Voiture à énergie solaire

Au siècle dernier, notre imagination ne tarissait pas sur les couleurs de ce futur. Nous pensions chevaucher des coursiers de métal volant, pour rencontrer nos frères humains sur une planète aux frontières abolies. On a même cru pouvoir éradiquer la faim et taire à jamais le bruit des canons. Nous avions les moyens de guérir, d’instruire et de chérir. Un véritable délire de science-fiction!

Le 31 décembre, dans la chaleur de mon foyer, entourée de mes amours — mon amoureux, nos enfants, petits-enfants, amis — je ferai la fête à l’année moribonde. Un deuil festif afin d’ouvrir grand les bras à 2014, mon optimisme suffisamment naïf pour la croire l’année de tous les possibles.

Mais ce deuil sera aussi corrosif. Si 2013 a été une année des plus heureuses, parée de moments intenses, de présences chaleureuses, de partages généreux, d’enthousiasmes fréquents, d’une énergie retrouvée, c’est aussi l’année de nombreuses déceptions quand, par la fenêtre ouverte de mon navigateur, j’entends les cris du monde. L’écho charrie un sombre présage. Cette humanité en marche est en train de reculer.


Fjord Saguenay

Dans cette terre au nord de l’Amérique, dans cette région si belle qu’on oublie que la laideur existe, dans le confort d’un foyer que j’ai construit, fruit de mon travail et de ma prévoyance — plus encore de ma chance d’avoir eu un travail et les moyens de prévoir — je peux facilement vivre dans le déni de ce qui se passe de l’autre côté du miroir. Moi, Alice au pays des merveilles sous la protection d’un grand lapin blanc, je n’ose suivre Celia aux pays des horreurs saccagés par de grands requins noirs.

Lac-Mégantic 2013


Depuis 14 ans, j’assiste à la ruée vers une exploitation anarchique de tout ce qui peut se traduire par une croissance de profits insensés. L’appât du gain est si fort qu’il aveugle une cohorte de gestionnaires, assurés de revenus et primes de retraite indécents, voués à réduire les emplois. Soutenus par des discours où les pontifes de l’économie, insouciants des ravages d’une spéculation débridée, bêlent leur mépris des syndiqués osant défendre un travail décent, de nombreux employeurs s’acharnent à fragiliser les emplois. La précarité et la peur au service de la docilité et de l’exploitation. Concurrence, croissance du profit sont leur credo. Qu’importe le prix humain!… Après avoir plongé l’économie mondiale dans une crise qui se prolonge, les banquiers se targuent de leur bonne gestion :

« Les grandes banques canadiennes ont encore une fois engrangé des profits considérables au cours des douze derniers mois, en raison notamment de l’augmentation des frais bancaires. […] Au total, près de 30,3 G$ ont été amassés en bénéfice net par les six grandes banques canadiennes. Cela est conforme aux prévisions des analystes publiées en début de semaine. » (source Jean-François Rousseau/Argent)

Des frais bancaires qui ne cessent d’augmenter. Et moins vous avez d’argent, plus élevés ils sont. La logique?



Ces dernières années, si révélatrices de la corruption endémique de dirigeants, sont les années où la répression de l’État n’a cessé de s’imposer brutalement et de se légaliser. Légal n’est pas synonyme de juste. Les droits des citoyens s’amenuisent. Le pouvoir de se défendre aussi. Que peut-on contre une minière qui convoite votre sous-sol? Que peut-on contre la spéculation immobilière qui explose les évaluations et du même souffle les taxes? Une spéculation qui a également une incidence dramatique sur la hausse du coût des loyers. Indignez-vous en silence. Le droit de manifester son mécontentement est muselé à peine murmuré. Une démarche légale peut être déclarée illégale et vous voilà soudainement à la merci d’une décision arbitraire des policiers. (Règlement P-6 à Montréal. Même modèle à Québec, Saguenay et Alma). L’Espagne prépare un projet de loi pire encore. Cette même Espagne qui, sous la pression idéologique des religieux, en revient à criminaliser l’avortement. Démontrant que rien n’est acquis dans le domaine des droits de la personne.

Nos droits, quels sont-ils dans un monde où des mafieux connus circulent en toute liberté dans nos cités tandis qu’un Claude Robinson a dû investir 18 ans de sa vie et accumuler une dette de plus de trois millions de dollars pour faire reconnaître ses droits de créateur? Une victoire où le héros dépouillé doit affronter les vaincus dans leur forteresse protégée afin de récupérer ce qui lui est dû.

2013 tire à sa fin. Mon âme est en berne.

Le 31 décembre, je vais célébrer avec les miens. Je veillerai à ne pas leur dire que je suis enragée et que je fais miens ces mots de Félix Leclerc dans L’alouette en colère, pour dire que moi Qui ne croit ni à dieu, ni à diable, ni à moi, j'ai un fils écrasé par les temples à finances où il ne peut entrer et par ceux des paroles d'où il ne peut sortir. J'ai un fils dépouillé […] locataire et chômeur dans son propre pays. Moi qui suis révoltée, je sens en moi dans le tréfonds de moi, malgré moi, malgré moi pour la première fois, malgré moi, malgré moi, entre la chair et l'os, s'installer la colère. 

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samedi 28 décembre 2013

Un côté sombre. Un côté lumineux.





En parallèle avec ce blogue, je navigue désormais sur le site Mauvaise herbe. J'y accoste au moins une fois par mois.

Mon troisième texte, publié le 28 novembre 2013 : Un côté sombre. Un côté lumineux

Par quelles curieuses ramifications cérébrales suis-je en train de laisser mes doigts danser sur les lettres du clavier d’où jaillissent les mots qui vont suivre? Comment la somme de mes lectures de moult verbiages (?), pardon! opinions sur les femmes, les religions, les libertés et les violences accaparant l’espace médiatique de ce mois m’amènent à ne plus voir qu’un seul mot? Et que ce mot s’impose à mon esprit comme une urgence à dire? Et que ce dire se révèle plus viscéral que rationnel?

Patience, je vais vous l’écrire ce mot.

Mais comment? Il est le dénominateur commun du meilleur et du pire, la cause et la solution. L’omniprésence. La complémentarité essentielle. Le contraire parfois. L’indispensable alliance.

Ce mot virevolte à l’intérieur de ma tête comme un papillon autour d’une lumière. Une pensée comme une étincelle qui a surgi au cours d’une discussion passionnée, comme elles le sont souvent. J’ai l’impression d’être défiée, confrontée à un impératif présent. Pétrie du doute que cela soit perçu tel que ressenti et pourtant certaine que d’oser en révélera un sens. Et si nous parlions de l’homme?

Qui suis-je sinon cette femme taillée dans plusieurs décennies de vie, l’esprit modelé au contact des innombrables personnes qui ont traversé mon existence? Qui suis-je sinon la fille d’un homme, la compagne d’un homme, la mère d’un homme?

Interpellée par l’écho des débats successifs sur l’égalité des hommes et des femmes, sur la violence faite aux femmes, le trafic humain pour fin de prostitution, l’incroyable prolifération de réseaux pédophiles (750 000 connectés selon l’ONU) et tutti quanti, j’ai presque failli hurler en silence cette question d’Aragon : « Mais est-ce ainsi que les hommes vivent? »

Serais-je l’aveugle inconsciente en plein déni de la réalité? Ou l’actualité occulterait-elle la réalité?

Seule fille dans une famille de trois garçons, je me voyais interdire ce qui leur était permis, privée d’une liberté qui leur était acquise. J’ai affronté un père qui ne voyait pas l’intérêt des études collégiales pour une fille destinée à s’occuper de ses enfants et d’un mari. J’ai choisi d’afficher ma soif des livres plus que des parures et du maquillage. J’ai contesté avec succès le banquier qui voulait m’imposer la tutelle d’un endosseur. J’ai claqué la porte d’un employeur qui me refusait un salaire égal à celui de mes confrères. J’ai mené, en privé d’abord puis collectivement, une révolution qui a changé mon monde. Mais pas seule.

À mes côtés, j’ai découvert un père, enfin dépouillé du carcan machiste de son propre dressage, aller au front pour l’égalité des droits; des frères me faire découvrir les écrits de Simone de Beauvoir, Virginia Woolf et Denise Boucher; des confrères risquant leur emploi pour instaurer des conditions de travail égalitaires.

Cette société où je vis dans ce Québec d’aujourd’hui, nous l’avons construite ensemble, femmes et hommes, aspirant les uns comme les autres à une vie différente de celle de nos parents où le féminin et le masculin étaient confinés à un rôle prédéterminé.

Au fil du temps, j’ai vu des hommes de plus en plus nombreux contribuant à une évolution sociale où les petits garçons et les petites filles avancent main dans la main avec confiance; des jeunes pères soucieux d’être auprès de leurs enfants dès leur naissance; des hommes sachant conjuguer femme et amitié; des hommes magnifiques de tendresse dans la joie comme dans la maladie. Je vois cela et je me dis que c’est bon et beau, que c’est ainsi que nous voulons vivre.

Je n’oublie pas le côté sombre. Je sais que nous sommes à la croisée des chemins dont la diversité des origines influe sur nos décisions. Mais dans le tumulte qui anime les médias, je ne veux surtout pas oublier le côté lumineux.

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dimanche 22 décembre 2013

Sans regret... certains départs sont des arrivées.


Certains départs sont des arrivées. 

Johanne St-Pierre

Invitée par l'ineffable Jojo (Johanne St-Pierre) au brunch d'adieu pour trois personnes de la salle de rédaction du journal Le Quotidien, j'ai ressenti, avec joie, n'éprouver aucun regret de mon propre départ survenu le 26 mars 2009. J'ai été amoureuse de ma profession de journaliste. J'y ai connu des moments de grande intensité, j'y ai fait des rencontres inoubliables. Et, les retrouvailles d'aujourd'hui, confirment que j'y ai tissé des liens faits d'amitié et de respect. Mais j'ai pu mesurer aussi que ce départ, soi-disant à la retraite, m'a permis d'arriver à ce que finalement on aspire plus que tout : la liberté de disposer de son temps pour réaliser des projets sans se soucier de gagner le pain de chaque jour.

Ce 22 décembre, nous étions plusieurs « retraités » à venir saluer ces trois personnes qui ont été compagnes et compagnon de travail. 

Micheline Belley, Gilles Lalancette, Catherine Delisle.
Au fil d'arrivée pour le plaisir de vacances sans fin. 
Photo empruntée sur le mur de Marc St-Hilaire

 Micheline Belley, secrétaire de rédaction. Cette femme intelligente autant du cœur que de l'esprit. Patiente devant nos impatiences. Mémoire vive face à nos oublis. Si présente que chacun avait l'impression d'avoir SA secrétaire particulière. Et j'apprends aujourd'hui qu'elle est une artiste.

Catherine Delisle, journaliste qui a conclu sa carrière au poste de chef des nouvelles. Passionnée, combative, acharnée. Tout un personnage! Dont je retiendrai, non pas son professionnalisme évident, mais plutôt un sens critique omniprésent ponctué d'un souci d'humanité qui explique, du moins à mes yeux, le paradoxe de ses prises de position.

Gilles Lalancette, chef de pupitre depuis des décennies. Mon premier souvenir de son tempérament fougueux remonte à 1974, dans la tourmente de ma première expérience d'une grève où les débats sont très révélateurs des convictions de chacun. Il avait gagné mon respect. Ne l'a jamais perdu. Il était le gardien de la qualité de nos textes. Le bouclier méconnu contre l'humiliation de nos erreurs détectées avant que d'être publiées.

Stéphan Bégin, Carol Néron, Paul Armand Girard, Patricia Rainville, Denis Bouchard, Normand Boivin, Serge Émond, Catherine Doré, Pascal Girard, Gilles Lalancette, Yvon Bernier, relève, Denis Villeneuve, ?, Katherine Belley-Murray, Dave Ainslay, Anne-Marie Gravel, ?, Laura Lévesque, Louis Tremblay, Lucien Émond, Micheline Belley, Christiane Laforge, Claude Côté, Catherine Delisle, Denise Pelletier, Mélanie Côté, Marc St-Hilaire, Bernard Larouche, Isabelle Tremblay?, Yves Boudreault, Mélyssa Gagnon,Daniel Côté, Pierre Félice, Johanne St-Pierre, Rémi-Gilles Tremblay, Louis-Marie Lapointe.

 Cette rencontre me confrontait aux ex, aux confrères et à la relève. Plusieurs générations réunies. Je me disais que j'avais connus les meilleures années de ce métier de journaliste. Et pourtant, devant la persévérance des compagnons d'hier et l'ambition enthousiaste des jeunes, j'ose croire que ce métier survivra à cette ère où la gestion du profit risque de tuer la quête d'une information au service du client lecteur pour privilégier un contenu au service du client annonceur.

 Les retraités de la rédaction : Yvon Bernier, Micheline Belley, Carol Néron, Catherine Delisle, Gilles Lalancette, Denis Pelletier, Lucien Émond, Christiane Laforge, Paul Armand Girard, Claude Côté, Pierre Félice et Louis-Marie Lapointe.
© Photo Michel Tremblay








mercredi 11 décembre 2013

Le déclin : la chronique du livre disparaît au Quotidien et Progrès-Dimanche


Yvon Paré

Un courriel de l'Association professionnelle des écrivains de la Sagamie (APÈS) me confirme une rumeur que j'espérais fausse. Le Progrès-Dimanche (version dominicale du Quotidien) ne publiera plus la chronique du livre, superbement tenue par Yvon Paré depuis des années. 

Dernière rescapée de ce qui a déjà été les belles années de la Section des arts de ce média qui n'a cessé de subir une réduction de ses pages, de son contenu et des ressources humaines, cette chronique demeurait un des fleurons de cet hebdomadaire. Une chronique qui avait cette particularité, outre d'être magnifiquement écrite, de se consacrer à la littérature québécoise et d'être bien souvent notre seule référence pour découvrir des auteurs occultés par la filière des médias métropolitains. Pour certains auteurs et éditeurs du Saguenay–Lac-Saint-Jean, c'est la perte d'une tribune majeure. Surtout que cette chronique ne versait ni dans le populisme ni dans la complaisance, mais offrait une analyse critique de grande qualité sur l'œuvre traitée.

La vente de livres au Québec génère près de 700 à 800 millions de dollars annuellement, surpassant les ventes de l'industrie du cinéma et de la musique (source Sodec ). Ce sont plus de 12 000 emplois concernés (outre les écrivains). Par le nombre élevé de son assistance au Salon du livre (plus de 18 000 personnes cette année) et la fréquentation assidue des bibliothèques publiques, la population du Saguenay–Lac-Saint-Jean démontre un réel intérêt pour les livres. Une réalité qui indiffère les directeurs de rédaction des journaux que nous lisons.

Ce qui est tragique c'est qu'un livre dont personne ne parle n'existe pas pour le public lambda.

Incompréhension et déception m'animent devant cet abandon. Un deuil de plus que nous impose une presse devenue un simple produit de consommation. 

L'alternative – qui était également une vitrine, un lien pour le journal Progrès-Dimanche – demeure le blogue d'Yvon Paré, un répertoire de plus de 400 chroniques de celui qui n'abandonnera pas ces auteurs qu'il a passé sa vie à défendre.


***
Yves Ouellet

Dans la foulée des coupes, sans doute fortement suggérées par les gestionnaires du groupe Gesca, un autre chroniqueur a été éjecté : Yves Ouellet. Le grand voyageur qui portait un regard unique sur les lieux qu'ils nous faisaient découvrir a aussi disparu de notre Quotidien.






lundi 2 décembre 2013

Le Démantèlement de Sébastien Pilote : intense, sobre, poétique



Voir et savoir dire sont les forces du cinéaste Sébastien Pilote. Avant l'image il y a les mots autant que les silences, les gestes faits et plus encore les gestes retenus, les répliques  dépouillées de tout verbiage qu'elles en deviennent percutantes. Avant l'image il y a le rythme, une lenteur sans longueur, des mouvements sans brusquerie comme si le temps ralentissait sa course. 

Le scénario est accessoire. Efficace cependant pour exprimer le sentiment que sous tend ce film : l'amour inconditionnel d'un père. Cela aurait pu être raconté en plein cœur d'une ville surpeuplée ou dans une banlieue aux apparences tranquilles. En campant ses personnages dans les champs dorés du Lac-Saint-Jean dont la lumière joue de contraste avec l'intérieur de la bergerie, le cinéaste, sciemment ou non, établit un parallèle entre le lien du père nourricier (protecteur de ses enfants) et la ferme nourricière des hommes. Le démantèlement n'en a que plus d'impact dans tout ce qu'il signifie d'abandon, de sacrifice de soi à l'autre, de la paternité assumée.

Le Démantèlement, film de Sébastien Pilote met en scène Gabriel Arcand et Sophie Desmarais


Le drame de Gaby en révèle un autre qui, sans être le propos majeur du film, s'y insinue avec une redoutable efficacité. Celui de le l'exode rural. De la survie des fermes familiales. Du démantèlement de cet héritage qui se meurt faute de relève. Pour y avoir investi toute sa force vive, délesté d'une conjointe et de ses deux filles qui souhaitaient vivre autrement, Gaby est confronté à un constat pénible : une ferme dont personne ne veut n'a pas de valeur. S'il veut en tirer un certain capital acceptable il doit se résigner à la vendre en pièces détachées. Tout ce à quoi il a consacré sa vie part morceau par morceau.

L'œuvre de Sébastien Pilote transcende l'humain. La charge émotive de chacun des personnages ne semble jamais gratuite. Qu'il s'agisse de l'ami, de l'ex-épouse, de l'amicale voisine, du jeune employé dévoué, de la fille cadette si absente et pourtant si proche de la sensibilité du père ou de la fille aînée en plein tumulte d'un divorce farouchement décidée à sauvegarder le lieu de vie de ses enfants. Et que dire de Gaby, magistralement campé par un Gabriel Arcand d'une intensité qui s'incruste dans le cœur. Pure beauté. On a le sentiment de toucher la grandeur du regard.

***
réalisateur : Sébastien Pilote
scénario : Sébastien Pilote
image : Michel La Veaux
montage : Stéphane Lafleur
son : Gilles Corbeil - Olivier Calvert - Stéphane Bergeron
décors : Mario Hervieux
musique : Serge Nakaushi Pelletier




Ce film a suscité de nombreux articles de presse depuis sa sortie avec succès au Festival de Cannes. Plutôt que de répéter tout le bien qui en a été dit, je propose ici quelques liens, sachant que le lecteur pourra lui-même poursuivre ses recherches sur la Toile.

 Critiques : Voir
                   Ton canapé
                   Mauvaise Herbe

Entretien avec Sébastien :  Le Quatre trois

Sur l'exode rural : Nouvel Observateur

Honneurs : prix à Turin

Facebook : Le Démantèlement






jeudi 28 novembre 2013

Charte – Laïcité – Droits des femmes

En parallèle avec ce blogue, je navigue désormais sur le site Mauvaise herbe. J'y accoste au moins une fois par mois.

Mon second texte, publié le 28 octobre 2013 : Charte – Laïcité – Droits droits des femmes

Depuis des semaines des torrents de mots frappent indistinctement rochers des convictions et terre friable des aspirations. Je me voulais touriste dans cet univers chaotique où s’affronte l’expression de nos différences. Je m’imposais de n’être qu’une observatrice non partisane. J’aspirais au silence, l’esprit usé, trop flagellé de décennies de combats menés pour atteindre l’ultime objectif : l’affirmation politique, juridique, sociale et universelle que les hommes et les femmes sont égaux.

Mais la rumeur est montée telle une marée charriant le meilleur et le pire de tout ce qui jonche les fonds marins du monde où je vis. Avant même la publication du projet d’une charte des valeurs québécoises, ils ont hurlé au loup. Si rien n’oblige à prendre le risque de la parole, tout m’oblige à réfléchir sur les assauts de ce débat sur mes propres convictions.  Libre à moi de les taire ou de les exprimer. Libre au lecteur de les entendre ou de les ignorer.

Après avoir lu, sous ses diverses formes, courtes et longues, ce « document d’orientation en matière d’encadrement des demandes d’accommodement religieux, d’affirmation des valeurs de la société québécoise ainsi que du caractère laïque des institutions de l’État » j’ai choisi de signer la pétition du Rassemblement pour la laïcité dont la démarche répond mieux à mes aspirations.

 Je me croyais bien informée. Me voilà estomaquée de lire dans le document d’orientation du ministre Drainville que la Charte québécoise des droits et libertés de la personne a été modifiée en 2008 seulement afin d’y inscrire, explicitement, l’égalité entre les femmes et les hommes. Dès lors, j’ai compris l’urgence d’agir pour passer le l’écrit à l’état de fait.

Aujourd’hui plus que jamais, je crois impérieuse la promulgation d’une charte de la laïcité dans ce Québec du XIXe siècle. Tout comme je crois inéluctable – et même facteur de progression – la cohabitation « multi ethnies » au sein d’une société forte de son identité; cette identité issue des racines de son passé, de son histoire, de sa langue. Une identité forgée à la flamme des luttes menées pour son évolution. Une cohabitation où le droit de la collectivité prévaut sur le droit individuel pour une intégration respectueuse autant que réussie.

Oui, je souhaite une charte de la laïcité. Oui, je suis pour une démarche qui « au-delà des clivages idéologiques, évitant le dogmatisme, cheminera sur la voie d’une laïcité des institutions publiques, garante de l’égalité de toutes et de tous, et source de cohésion sociale. » Oui, je veux que soit affirmée la neutralité de l’État et le caractère laïque de ses institutions. Je veux que soit définie la notion raisonnable des accommodements. Je veux surtout que soit encadré tout accommodement afin qu’il ne soit pas en contradiction avec l’affirmation de l’égalité des hommes et des femmes. J’irai plus loin. J’aspire à une société qui ne sacrifiera pas la liberté de penser, de questionner, de douter, de s’instruire à l’endoctrinement… surtout des enfants.

Pourquoi le projet d’une charte des valeurs québécoises – qui n’aurait pas dû renoncer à se nommer charte de la laïcité puisque seul cet aspect n’a pas été légiféré – a-t-il provoqué une telle vindicte médiatisée à outrance? Il ne s’agissait après tout que d’une invitation à débattre d’un contenu perfectible.

Pourquoi, de tous les signes religieux ostentatoires cités en exemple (malgré le regrettable droit de s’y soustraire inclus en plusieurs cas) le voile est-il devenu le plus proéminent ?

Pourquoi exprimer son désarroi, voire son incompréhension devant la prolifération des revendications et des accommodements aboutit à des invectives et des accusations de racisme et de xénophobie? 

Comment peut-on vouloir limiter notre perception des enjeux en niant la pertinence d’entendre et voir ce qui se vit au-delà de nos frontières? 

Comment concilier notre désir de respecter la liberté de chacun et d’aspirer à ce que chacun respecte notre liberté d’établir des règles?

Dans ma tête, mille et une questions s’affrontent face à cette tempête verbale.  Elle me heurte de pleins fouets au cœur de mes idéaux, jamais abandonnés, et me confrontent à mes contradictions.

Je rêvais d’un monde sans frontière, d’une humanité en marche où l’on scanderait le bruit de nos pas au rythme de cette merveilleuse utopie (?) que sont les mots liberté, égalité, fraternité. Je croyais au partage, à l’accueil, à l’hymne planétaire réunissant toutes les musiques, où le pas militaire se transformerait en pas de danse. Je voulais être la compagne de l’homme et non son adversaire, convaincue qu’ensemble nous protégerions tous les enfants du monde.

La femme de ces rêves n’a pas renoncé. Et pourtant, aujourd’hui, je vis l’étrange paradoxe où je peux, à la fois, avec respect, amour et tolérance accepter l’autre avec sa différence, ses croyances et, en même temps, combattre les rites contraires à nos lois et les symboles quand ils représentent la négation de ce qui m’est plus sacré que tout ce qu’on peut dire sacré : la femme est l’égale de l’homme.

Quand ma tolérance et mon respect est en contradiction avec mes valeurs, mes convictions et le combat de ma vie, que dois-je choisir?

http://www.mauvaiseherbe.ca/



lundi 28 octobre 2013

L'amarante


En parallèle avec ce blogue, je navigue désormais sur le site Mauvaise herbe. J'y accosterai au moins une fois par mois.

Mon premier texte : L'amarante

Depuis plus d’un an je promène mes yeux dans le sillon des mots publiés sur le site Mauvaise Herbe. Séduite bien souvent. Avant même d’en découvrir le contenu, incontestablement alimenté par des passionnés recrutés par Marielle Couture et Joël Martel, mon esprit était titillé par l’heureux mariage de ces deux mots évocateurs « Mauvaise herbe ». À l’heure d’une quête identitaire qui frappe de nombreux pays occidentaux, confrontés au choc des cultures inévitablement accéléré, sinon accentué, par la mondialisation des marchés et de la main d’œuvre, je coiffe volontiers l’idée de m’affirmer comme Mauvaise Herbe. En répondant à l’invitation de collaborer à cette tribune je reconnais avec fierté vouloir demeurer le souci des malherbologues.
Qu’est-ce donc qu’une mauvaise herbe sinon une plante dont on n’a pas encore découvert les vertus ? D’ailleurs l’intégralité des plantes adventices possède une grande valeur botanique et écologique. Elles favorisent la biodiversité, elles permettent de rééquilibrer le sol et de l’enrichir en matière organique. 
Lisant cette phrase sur le site Alsagarden créé par un jeune horticulteur alsacien Lucas Heitz (découvert au hasard de mes navigations sur la Toile), j’ai trouvé qu’au sens propre comme au figuré elle résumait superbement ce que je pense.

Surnommée Mademoiselle Pourquoi dès ma plus tendre enfance, mes souvenirs foisonnent d’exemples qui me confortent dans mon identité avouée. Transplantée à 3 ans dans une famille d’accueil pour raison de santé, arrachée à ma terre d’origine pour déraison de famille, j’ai 9 ans quand j’affronte le rejet intégral de ma présence à l’école dès que trahie par mon accent. Je passerais pour minorité non visible si je n’étais pas audible dans ce Montréal où je ne prendrai pas racines. Mise en serre à 10 ans dans un pensionnat de Jonquière pour espoir de dompter un caractère rebelle, j’y apprendrai l’art de crocheter les serrures pour, la nuit, piller les livres mis sous clé et nourrir ma soif d’apprendre. Plus tard, le collège est terre fertile à la révolte. Bien que présidente de classe, j’en suis fréquemment expulsée pour mes questions mettant en doute les enseignements traitant de religion, d’histoire et de sociétés. Pour mon bonheur, ces mises en exil punitif m’expédiaient dans l’antre du plaisir absolu : la bibliothèque.
Exaspérante pour les jardiniers de ma vie, qu’ils aient été mes professeurs, mes employeurs ou ma famille, ils ont pourtant contribué à développer ma nature profonde. Je leur doit beaucoup. Aujourd’hui, sur cette terre en friche qu’est encore la planète,  je souhaite prendre la forme de l’amarante et contribuer si possible au cauchemar des Monsanto de ce monde.

Voilà. Maintenant que, présentation faite, il me reste à écrire une chronique à un rythme indéfini, ma tête est comme une forêt aux essences multiples. Tombent les feuilles alors qu’il y a urgence de les saisir au vol pour ne pas rater la saison. Violence, corruption, charte, économie, dégradation des emplois, déclin de la presse, élection, éducation, famille, culture, laïcité, liberté, égalités des droits pour les hommes, les femmes et les enfants, environnement, politique, autant de thèmes qui se bousculent au bout de mes doigts sur un clavier de 26 lettres… et pourtant sans limite.

Je me  restreindrai cette première fois, le temps d’évaluer la direction du chemin que j’ai accepté de prendre et de partager dans le jardin de Mauvaise Herbe. Qu’on se le tienne pour dit, mon credo est fait de doutes et de paradoxes.



lundi 22 juillet 2013

Fin de gestation





Depuis plusieurs jours je ressens une sorte de fébrilité qui évoque en moi des souvenirs trentenaire. Tout comme  en cette fin janvier 1983, je suis là, débordante d’énergie, un tantinet euphorique, aménageant, nettoyant, embellissant mon espace de vie. Comme une oiselle (mais pas naïve) faisant son nid.


Je veux tout faire à la fois et m’éparpille entre plein de tâches diverses que je commence sans les finir.  Un beau désordre mental qui se répercute sur mes actions. L’impression de tourner en rond, en fuite devant ce qui veut jaillir de moi, tout en me sentant impatiente de m’abandonner enfin à cette éclosion qui s’impose.

Je retrouve telle que je l’étais à quelques jours de donner la vie à mon fils.

Mon cerveau est un corps de femme en fin de sa gestation. Je n’y échapperai pas. Il me faudra bien laisser sortir les mots, les déposer sur la page blanche, les sentir prendre possession de moi.  Ils échapperont à ma vigilance pour croître selon leur vie propre et, peut-être, devenir un livre.
..... Mais pas aujourd'hui.


***

lundi 3 juin 2013

J'ai planté un chêne

Le chêne Jean Laforge grandit

3 juin 2013. Voilà sept ans déjà, avec mes frères, j'ai planté un chêne.

Cet arbre emblématique de force et de durée allait nourrir ses racines des cendres de notre père. Un homme libre,  lui-même symbole de force et de durée. Un artiste libre de tout dogme et complaisance dont l'originalité lui a valu davantage l'exclusion des « cercles » conventionnels que le soutien. Une authenticité qui s'est épanouie à la chaleur des amitiés indéfectibles dont il a été entouré jusqu'à la fin.

Jean Laforge est mort le 20 mai 2066. J'en parle ici.

Et depuis, il continue de vivre et de grandir, face à la maison qu'il a occupée pendant 33 ans, où il a vécu ce qui aura été les meilleures décennies de sa longue vie. Une maison au bord du Fjord Saguenay, où il aimait tant recevoir, faire la fête, regrouper famille et amis pour une fringale de tartes joyeusement célèbre.

Le 16 août 2013, Jean Laforge aurait eu 100 ans. Il avait lancé de nombreuses invitations pour célébrer son centenaire, convaincu de son invulnérabilité. Il ne savait pas que le cancer le dévorait à l'abri de symptômes déguisés en simple toux attribuée à tort à une bronchite chronique.

Ce 3 juin 2013, le vent chante son souvenir dans les feuilles d'un chêne.








Jean Laforge devant La sarabande des enfants perdus 
© Photo Jeannot Lévesque



dimanche 3 février 2013

Mon fils Ariel a 30 ans


Le si beau regard de mon fils Ariel Laforge et son fils Victor
© Photo Andrée-Anne Lachaine

Dimanche 3 février 2013

Mon fils
Mon tendre, mon merveilleux enfant,
Mon Ariel,

Dans quelques heures, il y aura 30 ans révolus que tu es né. Et tu m’enchantes plus que jamais.

Lors de ton 25e anniversaire je t’écrivais ceci :

« Tu m’as tant appris : l’amour inconditionnel, l’abandon, la confiance, le courage, la résistance. Je t’ai donné la vie, il y a 25 ans. Toi, tu donnes le sens noble à ma vie depuis un quart de siècle. »

Pour tes 26 ans, j’ajoutais : « Pendant le quart d’un siècle tu as été mon étoile polaire. J’ai navigué sur des mers tourmentées sans jamais sombrer parce que tu étais là.

 Aujourd’hui, moins qu’hier je n’ai pas l’intention de rentrer au port. Mes voiles sont gonflées vers de nouveaux horizons. Et le plus troublant dans ce voyage sans fin, c’est de regarder mon ciel et de voir s’y multiplier les étoiles. 

Ce 3 février 2009, te voilà à ta 26e année d’existence. Tu es un homme, un époux, un père… Là est ta vie. Empare-toi d’elle mon fils aimé, car là est ton avenir. »

Ariel, Andrée-Anne, Victor, Isyëv, Élika en décembre 2012

Arrive 2010 où je déclare : « On voudrait retenir le temps pour prolonger l'émerveillement devant la beauté d'un enfant. Mais, ce serait retarder l'émerveillement ressenti devant l'enfant devenu homme. Et quel homme!

Voilà 27 ans que tu rends ma vie plus riche, plus belle, plus intense, plus ardente. Voilà 27 ans que mon cœur est ébloui par cet amour que tu m'inspires.

Lors de tes 28 ans, je fus plus discrète. Pas d’aveu public, mais foison de mots t’exprimant ce côté indéfectible de mon amour.

Puis, il y a eu 2012. Cette année parenthèse dans ma vie, où l’homme de 29 ans m’a prise dans ses bras robustes pour tenir contre lui tout le fardeau d’un combat à mener contre la menace d’un cancer invasif. Ce jour-là, mon fils, j’étais toute petite et toi très grand. Et pourtant ton étreinte silencieuse me confrontait non pas à la pitié mais à la confiance. Cette confiance de toi envers moi qui m’a toujours honorée autant qu’émerveillée. J’ai voulu en être digne.

Ce dimanche 3 février 2013, je craignais ne pas trouver les mots capables d’exprimer plus encore que tout ce que je t’ai déjà écrit. Il est là ce mot. Il a trois lettres, cinq lettres :

TOI
ARIEL
Mon petit marin précoce 
qui a su tenir la barre du voilier de ma vie dans la bonne direction

Ariel, sur le Fjord Saguenay


Toi, qui m’insuffles la force, le sens de la vie, la confiance, l’espoir.

Quand je te regarde, je suis incontestablement pétrie d’orgueil, de fierté et de reconnaissance. Merci à toi, Ariel, mon fils tant aimé.

Afin qu'ils subsistent et naviguent sur d'autres mers, j’ai envie te reprendre les mots de tes 8 ans. Ils sont encore aujourd’hui fixés sur le frigo, où les erreurs orthographiques deviennent des ajouts précieux :

Chère maman,
Je tiens beaucoup aux miens 
et à touts tes désirs les plus fous.
Je ne veux pas bloquer tes vœux.
Tu es mon quai de chargement d’amour.
Je te souhaite que tu ne meurs pas avant l’an trois milles
Ou ne me quitteras jamais
M’aime en pensée. 

***