dimanche 27 février 2011

Fin d'un lock-out mais pas la fin des regrets

 © Photo: Marco Campanozzi, La Presse

J’ai mal à mes certitudes. Pendant que nous observons, admiratifs, la rébellion de la population arabe en Tunisie, en Égypte, en Libye, au Bahreïn et plus encore, contre les abus du pouvoir, contre la corruption, contre le vol de la richesse collective, contre le détournement des avoirs de leurs pays dans les banques et agences immobilières complaisantes, ici, nous laissons nos concitoyens subir la loi d’un pouvoir économique qui ne jure que par la croissance du profit et la destruction des emplois.

Que la faiblesse d’une loi obsolète ait permis, en toute légalité, de contourner son esprit parce qu’aucun ténor politique n’a eu la détermination d’en corriger l’odieux de toute urgence illustre bien l’injuste rapport de force qui s’est établi entre les travailleurs et leurs employeurs. La haute direction du Journal de Montréal vient de creuser la tombe de 165 emplois. Ils sont la suite d’une série amorcée lors du lock-out au Journal de Québec et, plus près de nous, au Réveil. Même stratégie. Même complaisance des acheteurs de publicité et, pire, d’une population qui a politiquement donné son appui à une des deux parties en achetant son produit. La durée du lock-out aura sans doute permis d’économiser la somme nécessaire aux primes de congédiement qui totaliseraient, lit-on dans les journaux, 20 M$.

À l’origine, la presse avait pour ambition d’informer. Les revenus engendrés par la publicité avaient pour but premier d’assurer la survie de cet outil au service de l’information. Petit à petit, ce véhicule pourtant essentiel à notre société qui se veut libre et démocratique, est devenu un produit de consommation entre l’appétit d’entrepreneurs pour qui le profit, que dis-je, la croissance du profit, est l’objectif. Ils ont mis la main sur un service pour en faire un produit régit par les lois déshumanisées de l’économique. L’information elle-même a été détournée pour se transformer, en de trop nombreux cas, en propagande idéologique et en promotion de produits de consommation.

En réduisant le nombre de leurs journalistes, tout médias réduit le nombre de témoins, d’enquêteurs et de liens entre les faits et une population qui voit se tarir ses sources d’informations.

La reddition des 225 travailleurs (ils étaient 253 au début du conflit) qui ont soldé leur 765e jour de lockout pour le sauvetage des emplois de 62 d’entre eux, c’est la nôtre.

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mercredi 16 février 2011

Le contre Cabaret de Contrecœur


Hier soir, cinquième spectacle solo des Clowns Noirs. Au tour de Contrecœur de prendre ce beau risque de concevoir, écrire, mettre en scène et interpréter un solo : Le contre cabaret. La dernière représentation a lieu ce soir à la salle Murdock du Centre des arts et de la culture de Chicoutimi.

Je tenais à voir les cinq solos. D’une part, pour soutenir leur projet de film, qu’ils espèrent réaliser avec les bénéfices de ces spectacles. D'autre part, parce que ces comédiens du Théâtre du Faux coffre m’ont sauté au cœur depuis leur tout début. Leur originalité, leur talent, l’esprit frondeur et engagé, leur audace et cet immense respect qu’ils ont toujours démontré à l’égard de leur public m’ont conquis à la première heure.

 Le parti pris que j’ai pour eux n’empêche pas pour autant de les regarder avec un sens critique. Ce serait les désavouer que de laisser croire qu’ils sont sans failles. Ce serait me renier que de prétendre que je n’ai pas d’a priori et que toute forme d’humour me procure le même plaisir. J’assume pleinement ma subjectivité sur cette tribune qui n’engage que moi.

Maintenant que j’ai assisté aux cinq solos, je compare inévitablement mes impressions, consciente qu’il y a des inégalités circonstancielles et professionnelles. 

Grossomodo - Pierre Tremblay

Le meilleur exemple est le solo de Pierre Tremblay : Pendant ce temps dans la tête de Grossomodo. Ne disposant pas d’une vraie salle de spectacle, le comédien a dû livrer sa performance dans un local ressemblant plus à une salle de classe, sans véritable éclairage, sans espace et, le comble, sans la présence de ses acolytes, plusieurs étant eux-mêmes en représentation sur une autre scène. Rien de propice pour créer une ambiance théâtrale, d’autant plus que son concept reposait sur l’interaction entre le public et sa « machine », dans une mise en scène proposant un cours sur le théâtre et ses différents éléments (musique, texte, effets spéciaux, humour). Un amalgame ingénieux, ludique, mais dépourvu de l’ingrédient essentiel : du contenu. Aurait-on assisté à une ébauche, à l’exploration d’un projet qu’on aurait pu se dire qu’il y a là un petit quelque chose qui mérite d’être poussé. Sans doute une histoire à suivre.

Contrecœur - Éric Laprise

Contrecœur a bouclé le quintuple solo avec Le contre cabaret. Pour la circonstance, après deux ans d’absence de la scène saguenéenne, il a fait appel à ses complices du Théâtre du Faux Coffre, Martin Giguère et Patrice Leblanc, ainsi qu’à Isabelle Boivin et Christian Ouellet. Une représentation très physique, reposant (lui qui est le clown dormeur) sur la capacité du public à le suivre dans ce monde imaginaire qu’il suggère. Roger Blackburn décrit très bien cette performance dans sa critique (ici) :


« On l'a vu ivre (en récitant Soir d'hiver d'Émile Nelligan), affamé, en feu, mort de froid comme un sans-abri, stressé, amoureux, relaxe, en pleine bagarre, à la pêche, dans une discothèque, au cœur d'un labyrinthe, faire l'amour et manger l'univers. […] Le sommeil de Contrecœur est cependant très agité, comme dans un cauchemar il change d'univers, la trame sonore et les éclairages, très réussis, sont le seul décor et nous transportent en différents lieux. On voyage vraiment dans ses rêves. »

De cette production, je retiens surtout le jeu du comédien, cette performance qui réussit à créer l’illusion. Mais comme pour le précédant, et cela ne concerne que mes attentes, le contenu n’a pas su me combler.

Je partage tout à fait l'analyse qu'en fait Denise Pelletier sur son blogue  




Avec  Le Compte bancaire de Piedestal, le souffre douleur du groupe a démontré qu’il avait du répondant. Sans doute la grande surprise de cette quinte théâtrale. Pascal Rioux a déstabilisé son public jusqu’à la toute fin de cette tragédie humoristique où le mal de vivre flirte avec le rire et le grincement pour, finalement, exploser et nous laisser pantois face à une conclusion brutale.



Brutal aussi a été le solo de Patrice Leblanc. Le plus percutant ainsi que je l’écrivais ici :
« Ma vie en théâtroscope, spectacle en solo du Clown Noir Trac est une performance pamphlétaire où le rire permet de ne pas exploser. Un rire noir plus que jaune, mais rire tout de même pour ne pas pleurer. On quitte la salle, perturbé certes, mais très content de n’avoir pas raté ce rendez-vous avec une voix qui ose dire. »  

Un spectacle coup de poing qu’on aimerait revoir. Tout comme celui de Diogène, prolifique homme de mots à l’intelligence fébrile autant que fertile. 


Martin Giguère pratiquant l’autodérision sur un texte de ses neuf ans. Une prestation enlevante à la Fabrice Lucchini, faisant crouler de rire un public ravi. Les lectures de Diogène en reprise le mercredi 23 février, à La Tourelle du Collège d’Alma, à l’occasion de Flash’fête. Irrésistible!

Je suis contente d’avoir pu assister aux cinq productions, car elles m'ont permis de découvrir le caractère unique de chaque Clown noir. Je m’incline devant ces cinq comédiens pour avoir été au bout de ce projet, relevant le gant à leur manière avec prestance. S’il est un souhait que je veux faire, c’est d’apprendre que, malgré leur carrière respective, le Faux Coffre nous livre encore plusieurs de leurs trésors. Vivement le film!

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