jeudi 11 décembre 2008

Épreuves du temps d'André Boucher


© Photo André Boucher - Épreuves du temps





Condensé du reportage publié dans le Progrès-Dimanche
Les Arts, dimanche, 30 novembre 2008, p. 34

Livre d'art Épreuves du temps
André Boucher sublîme ce qui est



© Photo André Boucher - Épreuves du temps


Par Christiane Laforge

L'œil aiguisé du photographe de presse, jadis au journal Le Soleil, a su voir l'œuvre du temps. Là où nous serions si nombreux à ne percevoir qu'usure et délabrement, André Boucher a saisi la beauté cachée sous les «Épreuves du temps».

Surfaces ridées, craquelées, couches de couleurs superposées se soulevant comme pelures qu'il a encadrées dans l'objectif pour n'en retenir que l'essentiel.

Le temps est un artiste. On le constate au regard de ce livre de photographies, lancé en octobre dernier lors de l’inauguration d’une importante exposition sur ce thème qui se termine ce 30 novembre au Centres des arts contemporains du Québec, à Montréal.



© Photo André Boucher - Épreuves du temps

En 1995, le fondateur du Groupe Image, devenu photographe indépendant au service des arts et des médias, publie un premier ouvrage au titre interrogatif et précurseur? : «Est-ce que quelqu'un a remarqué quelque chose?» Lui, certainement!

En 2002, le Salon d'automne international des Beaux-arts de Montréal, rend hommage à la qualité de son travail et lui décerne une médaille d'or pour «Pelure de fer». Il était l’unique photographe parmi une cinquantaine d’exposants à cette biennale internationale.

À 57 ans, ce Saguenéen d'origine, présente le fruit de quinze années de recherches, dans un livre étonnant, à rendre jaloux les peintres en quête de formes et de couleurs exceptionnelles.

«Épreuves du temps» est un recueil de photographies sur l'érosion d'un environnement urbain qu'il nous invite à regarder autrement.



© Photo André Boucher - Épreuves du temps


André Boucher est perçu par certains comme un photographe impressionniste. Si l’on conçoit que l'impressionnisme se caractérise «par une tendance à noter les impressions fugitives, la mobilité des phénomènes plutôt que l'aspect stable et conceptuel des choses», le terme convient à son approche photographique qu’il résume superbement : «Créer pour capter l'instant magique qui se livre, se révèle pour sublimer ce qui est, témoigner de ce qui fut. Créer pour laisser une trace, quelques grains de lumière et un peu de son âme derrière soi.»

Le livre

À la découverte du livre «Épreuves du temps», la surprise est totale. À moins d'être familier avec le travail du photographe André Boucher, on se convainc de feuilleter un livre d'art représentant les toiles d'un peintre.

Christine Leroy, qui signe le texte de présentation, l'exprime très bien: «Oscillant entre abstraction et figuration, impressionnisme et automatisme, la photographie d’André Boucher surprend malgré elle, emprunte un langage pictural qui nous confond. Elle se joue des limites, du temps, de l’histoire de l’art et des hommes, pour leur livrer, dans une éclatante métaphore chromatique, le devoir de vigilance.»

Voir au-delà

À défaut d'avoir pu visiter son exposition «Épreuves du Temps» qui se terminait le 30 novembre dernier au Centre des arts contemporains du Québec, le livre offre une alternative des plus séduisantes. L'œil est confondu. S'agirait-il de peintures qu'on ne serait pas moins curieux de tourner les pages pour découvrir tout un monde de formes et de couleurs. Savoir regarder. Dépasser l’apparence pour voir au-delà. André Boucher ne pratique pas uniquement l’art de la photographie, mais aussi l’art de regarder. Derrière sa lentille, il montre le chemin d’inattendu.

Sans doute passerions-nous à proximité de ces surfaces, murs ou portes, bois ou métal - on ne peut pas nommer «la chose» - sans y voir plus que la corrosion des jours. André Boucher a choisi de s'en approcher, captant les strates révélatrices de toute une histoire à deviner.

Il le dit lui-même : «Je cherche l'inédit, l'inattendu, l'éphémère, le viscéral, les textures et les couleurs qui deviendront intemporelles avec une dimension insoupçonnée.»



© Photo André Boucher - Épreuves du temps

Œil de maître

Dans certaines photographies, on pourrait prétendre voir un paysage, grand ciel bleu dominant une plaine désertique où la verdure peine à s'étendre. Pour d’autre, une parcelle d’un tout plus grand dont l’absence de forme à reconnaître cède le pas devant l’abstrait où tout demeure en équilibre, comme la toile réussie d’un maître peintre.

Sillonnant les rues de Montréal ou s'échappant sous le soleil de la Havane, le regard du photographe s'attarde sur les surfaces dont il cerne les effets résultants du temps, sa durée comme ses intempéries et son soleil.

«L'artiste nous livre une vision très personnelle, un regard unique et pourtant empreint d'universalité, une œuvre métissée et multiple entre accent zen et expression baroque, nordicité et exubérance tropicale, faisant écho à la diversité du monde», conclut Christine Leroy.

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Entretien avec André

Devant les œuvres exposées du photographe André Boucher ou même les reproductions de son livre «Épreuves du temps», les spectateurs, même des professionnels de la peinture, sont mystifiés, croyant admirer des peintures. Armand Vaillancourt ne s’y est pas laissé prendre. «C’est un des rares, constate André, ajoutant, mais je ne fais pas cela pour mystifier. C’est un problème de perception. Ma perception. Je photographie les ravages du temps sur le bois ou le métal comme on fait de la récupération. Je vois la beauté.»

Évoquant Cuba où il a mitraillé des lieux vétustes, il raconte : «Pour moi, c’est un paradis. Pour eux c’est un cauchemar. Finalement, ils se rendaient compte que je trouvais beau leur environnement.»

À sa manière de regarder, André Boucher réconcilie l’âge et ses rides. C’est toute l’histoire d’une vie qu’il saisit dans l’objectif de l’appareil photo.

Du vol à l’envol

Après ses études au Cégep de Jonquière et quelques semaines d’apprentissage au Progrès-Dimanche en 1972, André Boucher hésite entre rester pour la naissance du nouveau journal Le Quotidien, né en octobre 1973 et un poste de photographe de presse au Soleil de Québec. Admirateur de Don McCullin, il préfère l’esthétisme du sujet que la contrainte conventionnelle du fait divers. Ses confrères le surnomment «Le poète aux vertes espérances».

Le vol de tous ses appareils de photo, au début des années 1980, provoque son envol vers une indépendance ponctuée, «de simplicité volontaire» commente-t-il avec humour.

Les trois ans du Groupe image , «où j’ai compris que je n’étais pas un tenancier de galerie», les tribulations dans le monde des artistes comme photographe indépendant, les incursions dans le monde du cinéma, du documentaire et de la télévision (Laflaque en 2D), tout ce qu’il a fait l’a conduit à cette publication audacieuse du livre «Épreuves du temps», tiré à 1000 exemplaires, aux éditions Carte Blanche.

Les pages du livre représentent la somme de 15 années d’expériences humaines et techniques, entre 1986 et 2004. «Je suis issus d’une école très mélangée», résume-t-il, concluant que «la photo numérique c’est libérateur. Mais attention, mes photographies sont sans altération, elles ne sont pas modifiées.»



André Boucher dédicace son livre à Claude Péloquin
© Photo Michel Tremblay


La tête pleine de projets, l’artiste prévoit se donner quelques semaines de repos avant d’entreprendre une nouvelle étape, dans le documentaire. Il est question d’une collaboration avec le poète Claude Péloquin et de nombreuses autres idées jaillissant du temps consacré à numériser tous les négatifs accumulés au cours de sa carrière de photographe de presse.

«Heureusement, j’avais gardé mes droits d’auteur sur tous mes négatifs.» Ouf! S’exclame-t-il, songeant à la destruction massive des nombreuses archives de presse, brûlées pour faire de la place.

Sachant si bien regarder le passé, André Boucher, artiste photographe, a tout l’avenir devant lui.

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1 commentaire:

  1. C'est vrai que l'on dirait avoir à faire à des tableaux.
    Cordialement

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