samedi 1 novembre 2008

Jérémie Giles


Jérémie Giles
© Photo Jeannot Lévesque - Le Quotidien

L'art au service d'une cause humanitaire est une constante dans notre société québécoise. Jérémie Giles en a fait un code de vie depuis longtemps. Le peintre sculpteur de Jonquière a présenté une grande exposition de 75 tableaux, inaugurée le 2 octobre dernier, à l'Agora de la Maison du Citoyen de Gatineau. L'ensemble des œuvres ont été mises en vente sous forme d'encan silencieux au profit de La maison Mathieu-Froment-Savoie, centre de soins palliatifs fondé en 1999 à la mémoire du jeune violoncelliste prodige Mathieu Froment-Savoie, mort d'un cancer à l'âge de 13 ans.

Sur les toiles peintes au nom d'un jeune artiste, Jérémie a composé les couleurs des lieux aimés de sa vie. Ses Extraits du pays portent un regard appuyé sur la beauté de sites particuliers, croqués au crayon ou à la caméra dans les territoires variés de ses pérégrinations à travers le Québec. Homme de toutes les terres, plutôt que de se faire le chantre d'un seul pays, le peintre capture l'essence du lieu unique pour en extraire ses traits universels. C'est ainsi que ses paysages peuvent être de partout dans l'univers nordique, tout en nous étant familiers dans la force évocatrice de ses eaux et la luxuriance de ses forêts.


© Toile de Jérémie Giles
© Photo Jeannot Lévesque - Le Quotidien

Du portrait au paysage, du figuratif à l'abstrait, les techniques de l'art n'ont pas de secret pour lui. Explorateur d'expérience, il ne s'impose aucun style, sinon le sien, préférant adapter son coup de pinceau à l'intention qui sous-tend un projet. Pour cet encan silencieux, le langage de ses toiles était celui du paysage.

« Le paysage pour moi, ce n'est pas la maison dans un décor, ni l'homme ni l'animal... Je ne m'intéresse pas à ça. Notre paysage c'est d'abord le ciel, le roc, la flore et l'eau. Je veux me concentrer sur l'aspect du paysage vierge. Essayons d'apprécier l'esthétique des choses plutôt que la reconnaissance. »

Concepteur et réalisateur de vastes projets, Jérémie Giles annonce que cette exposition était la dernière d'une telle ampleur qu'il réalisera. Il a puisé dans ses réserves de collections antérieures pour compléter le nombre imposant des toiles, bien qu'une grande partie ait été conçue au cours de la dernière année. Une tâche d'envergure dont il ne s'est laissé distraire que par quelques sculptures, dont deux bustes de peintres du Saguenay (Jean-Paul Lapointe en 2007 et Jean Laforge en 2008) et, pour bientôt, un bronze grandeur nature de Mathieu Froment-Savoie jouant du violoncelle. S'ajoute une intéressante exploration d'une théorie en art visuel qu'il nomme le
parcellisme.

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L'exposition
Extraits d'un pays n'est pas la première du genre que réalise cet artiste. La liste est longue des entreprises d'envergure qu’il a menées à bien. Sa force réside dans un caractère fonceur autant que frondeur, indépendant jusqu'à l'absolu, qui n'a jamais retenu le sens du mot impossible.

Qu'une idée traîne dans les parages, Jérémie Giles la cueille comme d'autres ramassent les coquillages. Il ne se contente pas d'écouter le chant de l'océan d'une coquille vide collée à son oreille. Il n'aura de cesse que s'il parvient à faire entendre ce chant à tous les autres.

L'art est un miroir

Il a tenu plus de 46 expositions solos et 32 expositions de groupes. Fondateur du Symposium de peinture de Baie-Comeau, il y avait bâti et animé le Centre d'art Manicouagan, lieu de rencontre des grands poètes et peintres réputés, jusqu'en 1992. Passionné d'histoire et de sciences naturelles, il a réalisé deux importants centres d'interprétation des sciences de la terre, le plus récent étant l'Écomusée de Hull, inauguré en 1997.

Créateur de plusieurs dessins armoriaux et de plusieurs sculptures publiques pour des villes québécoises, il a sculpté l'explorateur Samuel de Champlain, une œuvre de trois mètres de hauteur coulée en bronze, inaugurée à Gatineau en septembre 2004 pour commémorer le 400e anniversaire de l'établissement de la première colonie française en Amérique.

Pédagogue-né, l'artiste accepte difficilement les limites. Las des restrictions budgétaires et coûts faramineux des droits de reproduction, il a trouvé un moyen original et exceptionnel de monter une exposition thématique sur l'expression identitaire canadienne à travers la peinture. À défaut de rassembler des œuvres témoins, Jérémie a contourné tous les obstacles dans une démarche titanesque se traduisant par une exposition itinérante de 72 tableaux, signés Jérémie, représentant autant de peintres canadiens décédés.

Cette collection complète porte le nom L'art est un miroir car, explique l'artiste:
« L'identité d'un peuple correspond à sa façon de s'exprimer et aux moyens qu'il emprunte pour le faire. Les arts, sous toutes leurs formes, sont justement les fenêtres à travers lesquelles les autres nous perçoivent et nous reconnaissent. »

Jérémie a brossé le portrait de 72 peintres sur une toile de fond reproduisant, dans le style propre à l'artiste représenté, une de ses toiles. Du Ayotte, du Borduas, du Cosgrove, du Fortin, du Jackson, du Krieghoff, du Pellan, du Villeneuve, de la main d'un peintre unique.

Un travail de quatre années de recherche et d'exécution.
« C'était un défi, dans le sens que je m'apercevais que la grande majorité ne distinguait pas ce qu'était l'art canadien. Je ne voulais pas projeter des diapositives sur un artiste, mais faire une lecture de son art, de sa démarche. »

La collection circule dans l'Ouest canadien. Viendra-t-elle au Saguenay-Lac-Saint-Jean? Il en coûterait moins de 10 000 $, mais cela semble trop cher pour nos institutions muséales.



L'art donnera-t-il un nouveau sens au mot parcellisme? Loin de l'entendre comme l'éparpillement d'une force commune, Jérémie Giles verse dans son
isme l'anoblissement du détail.




© Jérémie Giles - Toile peinte reproduisant une parcelle
d'une toile figurative (voir photo suivante)
© Photo Jeannot Lévesque - Le Quotidien


© Jérémie Giles - L'encadré intérieur cible la parcelle
destinée à être reproduite en grand.
(voir photo précédente)

© Photo Jeannot Lévesque - Le Quotidien


Démontrant que la composition globale d'une toile est la somme de parties équilibrées, il en extrait une parcelle minimale qu'il reproduit en grand.

« Je me demandais depuis ma vingtaine: pourquoi faut-il que l'image soit représentative de quelque chose ou de quelqu'un pour être appréciée? Pourquoi les formes et les couleurs ne peuvent-elles pas à elles seules communiquer un sentiment aussi puissant que celui de l'image identifiable ou reconnaissable? »

La question exigeait une réponse. «Cela m'a incité à explorer les moyens capables de démystifier ce passage du figuratif au non-figuratif tout en permettant d'apprécier également l'une ou l'autre forme d'image. »

Entraînant divers observateurs non initiés dans sa démarche, Jérémie a constaté que la personne, découvrant comment on pouvait extraire une image dite abstraite d'une image figurative, se montrait beaucoup moins réticente à observer et sentir des œuvres moins conventionnelles. « J'ai toujours pensé que l'œil évoluait lorsque la ligne qui sépare les deux formes d'art s'estompait. »

Pour inaugurer la présentation publique de sa démarche et illustrer le parcellisme, l'artiste juxtapose la toile figurative et la toile non figurative, reproduisant une parcelle agrandie de la première.

« En choisissant d'encadrer une parcelle d'un sujet ou d'une image dont nous sommes l'auteur, de transposer celle-ci sur une surface agrandie, on réalise ainsi un tableau parcellaire. C'est-à-dire que cette création est une composition faite selon les valeurs chromatiques, de lignes et de formes et surtout, selon un certain ordre esthétique. Ainsi, est né le parcellisme, une oeuvre abstraite, mais néanmoins concrète. »

Dans l'histoire de l'art, on apprend que les courants artistiques sont le résultat d'explorations menées dans l'univers des mots, des sons, des formes et des couleurs. Le peintre invite les créateurs à ouvrir grandes les fenêtres aux risques et périls de passer pour un illuminé. Il conclut: «L'image n'a jamais eu à être identifiable pour être signifiante, exaltante et inspirante. »

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Ce texte est la reprise modifiée d’un reportage signé Christiane Laforge
publié dans le Progrès-Dimanche du 28 septembre 2008




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