dimanche 24 juin 2007

24 juin

Ce 24 juin, Fête nationale des Québécois depuis 1977, sera-t-il jour de ma mémoire ? Suis-je Québécoise, moi qui ne suis pas née ici ? Je crois depuis longtemps qu’un pays appartient à celui qui le construit. Qu’il n’y a pas droit de naissance, la naissance étant fortuite et non voulue. L’appartenance est un choix libre, affirmé par la présence active, par la contribution au développement d’un pays, par l’adhésion respectueuse à l’âme d’une nation, s’exprimant par sa langue et son idéal social. Je me revendique de ce Québec dont l’identité s’exprime par sa langue et sa pensée française dans un environnement nordique anglo-américain.

Ah! cette langue française, si belle, si riche et subtile, si nuancée... et tant massacrée, tant trahie par nos médias, nos politiciens, nos auteurs et nos enseignants!

Un soir de décembre 2005, dans la joie d’une soirée, pour moi très importante, j’ai parlé de mon amour de cette langue française qui m’est si chère. Je disais :

Hier, je n’aurais sans doute pas écrit un texte pour exprimer ce que je ressens. J’aurais laissé couler les mots sur l’émotion. Aujourd’hui, plus sage... plus prudente, j’ai réagi du bout des doigts sur le clavier. N’est-ce pas ainsi que je vis ma vie depuis des décennies : par mes doigts, fleuves de mots pour lesquels vous me récompensez aujourd’hui ?

Ma joie est grande d’accepter le Prix Jules-Fournier 2005 du Conseil supérieur de la langue française, parce que ce prix me conforte dans un amour inconditionnel à l’égard de cette même langue française.

Je suis née en Belgique. Autre pays de la francophonie où l’on égrène les dizaine de septante à nonante, tout en escamotant l’octante de la Suisse. Je suis née au Québec, à l’âge de neuf ans. Autre pays de la francophonie où le langage «s’abeaudit» des mots anciens que les marins ont déversés sur nos plages. Pour moi, comme pour vous, le mariage de ces deux mondes a engendré une langue française spécifique, unique, vivante, vibrante, qui s’éclate dans nos courriels plutôt que de se laisser étouffer sous les bancs de neige.

C’est par les mots de cette langue française... mieux... c’est par les mots de cette langue française du Québec que j’ai franchi toutes les étapes de ma vie professionnelle, culturelle et sociale. Ce que je pense, ce que je lis, ce que j’écoute, ce que j’écris porte les couleurs aux multiples nuances du langage acquis ici, en terre québécoise, qui plus est du Saguenay-Lac-Saint-Jean.

L’étudiante, formée en arts et lettres, jadis engagée pour classer des photos au Progrès-Dimanche, aujourd’hui journaliste au journal Le Quotidien, a grande envie de dire merci. Merci à ces personnes qui depuis trente ans me permettent d’écrire dans ma propre voix. Me permettent d’user de cette langue française, avec ses mots d’indépendance créés pour éviter l’acculturation linguistique dont nous menace la mondialisation, avec ses mots encore vibrants des échos des abordages d’à peine 500 ans, avec ses expressions uniques issues de nos saisons, avec le métissage des identités, confrontées autant qu’alliées, dont nous sommes les porteurs, nous journalistes, et les héritiers, nous les écrivains.


Ces mots qui ont été soumis à votre regard critique, jurés de ce prix, sont les mots d’une identité que je revendique. Là où Vigneault chante « Mon pays c’est l’hiver », j’écris « Mon pays c’est ma langue », aussi mon identité et ma fierté.

Merci de me permettre d’y croire, ce soir encore plus.

Christiane Laforge
3 décembre 2005

2 commentaires:

  1. Christiane, Grâce à une amie qui m'a fait découvrir votre blog je suis devenu un de vos fervents lecteurs. Un vrai fan. Vos réflexions me touchent, mais c'est votre style, ce don exceptionnel pour l'écriture qui me fascine. En visitant le symposium de peintures qui avait lieu ce weekend dans à Saguenay, j'ai en plus constaté que votre nom circule beaucoup parmi les artistes. Il a beaucoup été question d'une lettre que vous avez adressée à Jean-Paul Lapointe alors qu'il révélait sa mort prochaine. J'ai essayé de la trouver sur le web. J'ai pu y trouver le discours que vous avez lu lors de ses funérailles, (très beau)et suis encore plus curieux de découvrir cette lettre qui fait tant jaser. Pour le bénéfice de nombreux admirateurs de ce peintre, pourquoi ne pas la publier ici. SVP.

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  2. Bonjour Cristiane.

    La bouteille à la mer que tu m`as fait parvenir il y a déjà quelques temps et bien, je viens tout juste de l'ouvrir pour y lire avec intérêt tout cet univers dans lequel tu gravites depuis ton arrivée au Saguenay-Lac-St Jean. Jusqu'à aujourd`hui, que de mots écrits et dits . J`imagine que si on les rassemblait dans un tout, cela ressemblerait à une belle montagne de passion derrière laquelle se profilerait un arc-en-ciel d`amour.Ton don pour l`écriture tu nous le fais partager en poésie comme un peintre avec son pinceau pour faire parler ses formes et ses couleurs.Larquer les amarres c`est se livrer à une belle liberté qui ouvre bien des horizons à l`artiste créateur.

    Tu as toute mon admiration et que demain puisse nous réserver d`autres belles surprises qui magnificient l`art et la beauté. Bon été.

    Guy Tay
    guytaytremblay@yahoo.ca

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